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  Paris, le 13 mars 2000

Je m’aprête à rentrer, la fatigue dans les jambes, fourbu, je traverse le pont. Les jeunes acteurs du Théâtre de l’île Saint-Louis répètent leur scène en contrebas sur le quai. Un des acteurs en costume me fixe longuement. J’aperçois un couple traverser la rue bras de dessus, bras dessous. Mon oeil les accompagne dans leur mouvement. La longue robe noire de la jeune femme rousse est échancrée et laisse voir ses jambes blanches. Je les suis à distance pensant tout d’abord qu’ils se promenent simplement et que je ne fais que situer mon pas sur le leur, suivre leur direction. Ils remontent le quai vers Sully Morland, mais au niveau de la voie parallèle aux périphériques ils bifurquent et descendent vers l’ancien dispensaire de la RATP. Je les suis de haut, depuis le quai. Distrait. Au pied du bâtiment en brique rouge, ils discutent un moment (il la tient par la taille), ils désignent le parterre de gazon d’un geste vague et remontent vers la sortie. Je reviens sur mes pas. A quelques dizaines de mètres, deux policiers verbalisent un motard sur le bord de la route. Je les dépasse. Quelques mètres plus loin je me penche par dessus la balustrade, le couple est enlacé entre deux voitures garées le long du quai. Je reviens en arrière, mais je ne reste pas longtemps penché au-dessus d’eux, à les regarder s’embrasser avec passion. La présence des motards me gêne. Je m’éloigne. J’attends le départ des motards. Une dizaine de minutes de va-et-vient fébriles. Je me penche à nouveau. Juste au-dessus d’eux. leur reflet dans la carosserie d’un véhicule noir. Leurs baisers sont devenus plus fougueux. Leurs caresses se précisent. Il lui caresse les seins de la main gauche tandis que sa main droite se glisse dans l’entrebaîllement de sa longue robe. Je m’éloigne d’eux au rythme des passants. Quand je reviens je les observe plus longuement. Il s’est assis sur le capot avant d’une voiture grise et la sers dans ses bras. Ses mains glissant toujours sous le tissu noir. Sa bouche embrassant la gorge de son amie tandis qu’elle le branle. Je vois très nettement le prépuce tumescent du garçon qu’elle caresse régulièrement avec fermeté. A son pouce, une bague argentée en forme de chevron. Un passant s’approche. Il ressemble à Gaston Modot, un vieil acteur qui interprêtait le rôle du garde-chasse dans La Règle du jeu de Jean Renoir. Mais il est beaucoup plus petit. Un sourire figé. Quand il me dépasse je me souviens d’un voyeur qui plusieurs fois m’avais pris à partie et à qui il ressemble. Soulagé de ne pas le voir se pencher, il passe son chemin, je me penche. Le jeune homme vient de s’écarter brusquement de sa compagne. Il se précipite de l’autre côté et se penche par-dessus le parapet. Il souffre. Elle s’approche, prévenante, soucieuse. Se penche sur lui. Il paraît souffrir, saigner de la bouche. L’aurait-elle mordu en l’embrassant ? Tout se précipite. Ils remettent brusquement leurs blousons et s’éloignent. Le garçon prend les devants, dans son allure et ses gestes je crois déceler un ton de reproche. Il semble pressé tout à coup. Je le vois traverser le boulevard quelques mètres devant elle. Il lui fait signe de se dépêcher en tapant sur sa cuisse, geste qu’il répète plusieurs fois, de plus en plus vite, le transformant peu à peu en un geste ironique de domination. Le maître et sa chienne. Elle le rejoint. Elle sautille pour le rejoindre plus vite. Ses longs cheveux roux volent dans sa nuque : elle est toute à lui. Elle doit lui sourire. Ils disparaissent.



© Philippe Diaz

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